Haïti face à une bombe sociale : le retour forcé de plus de 520 000 migrants haïtiens sous TPS
Port-au-Prince, 28 juin 2025 (M9H) — La décision du Département de la Sécurité intérieure des États-Unis (DHS) de mettre fin au Statut de Protection Temporaire (TPS) pour Haïti, effectif dès le 2 septembre 2025, ouvre la voie à un retour massif de plus d’un demi-million d’Haïtiens dans un pays en proie à une crise multidimensionnelle. Alors que Washington affirme que la situation sécuritaire et environnementale en Haïti se serait suffisamment améliorée, cette mesure suscite l’inquiétude croissante des acteurs politiques, économiques et sociaux haïtiens.
Une situation explosive sur tous les fronts
Au moins 520 000 Haïtiens pourraient être contraints de quitter les États-Unis, alors que Haïti traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire récente. Depuis plusieurs années, l’État haïtien fait face à un effondrement institutionnel, des violences armées généralisées, un chômage structurel, et une crise humanitaire aiguë. L’ONU, de son côté, continue de classer plusieurs zones du pays comme impropres au retour sécurisé de populations déplacées.
Dans ces conditions, le retour massif de migrants, souvent sans attaches directes avec la réalité socio-économique haïtienne actuelle, risque d’aggraver la fragilité du pays. Ces Haïtiens, pour beaucoup installés aux États-Unis depuis plus d’une décennie, ont des enfants nés sur le sol américain, un emploi stable et une intégration parfois profonde dans le tissu social nord-américain.
Le spectre d’un effondrement économique
Les transferts de fonds envoyés par la diaspora haïtienne représentent près de 20 % du PIB national. Plus précisément, ces transferts de fonds privés sans contrepartie représentent une manne financière significative pour Haïti, contribuant à la consommation, aux importations et au secteur des services, selon des données de la Banque de la République d’Haïti (BRH). Une expulsion de masse pourrait menacer cette source vitale de devises, si les migrants, privés de revenus, ne peuvent plus soutenir leurs familles en Haïti.
Par ailleurs, le marché du travail haïtien est incapable d’absorber une telle main-d’œuvre, dans un contexte où le taux de chômage dépasse les 40 % chez les jeunes. Le chômage ouvert absorbe plus de la moitié, soit 53,3%, de la Population économiquement Active chez les Jeunes. https://haiti.unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/La%20jeunesse_en_chiffre%28UNFPA%29.pdf
Les infrastructures urbaines, déjà surchargées, notamment à Port-au-Prince, ne permettront pas d’accueillir dignement ces rapatriés.
Une urgence humanitaire à l’horizon
Des experts en migration et en droits humains alertent sur le risque de crise humanitaire immédiate, à moins d’un plan de coordination international solide. « Haïti n’a pas les capacités d’accueil, ni les ressources pour intégrer plus de 500 000 personnes en si peu de temps », avertit un responsable local d’une ONG humanitaire.
D’autant plus que le pays est déjà confronté à une crise de déplacement interne, un nombre record de près de 1,3 million de personnes ont été forcées de fuir les violences des gangs en Haïti pour trouver refuge ailleurs dans ce pays des Caraïbes, a indiqué le mercredi 11 juin 2025, une agence des Nations Unies. https://news.un.org/fr/story/2025/06/1156311. Ajouter à cela une nouvelle vague de retours contraints pourrait provoquer une surenchère de tensions sociales et politiques.
Une décision aux conséquences régionales
Pour plusieurs observateurs, cette décision pourrait avoir des répercussions régionales, notamment dans les pays frontaliers comme la République dominicaine, qui pourrait voir une recrudescence des traversées illégales. De plus, elle risque d’intensifier les mouvements de fuite vers d’autres destinations, au péril de la vie de nombreux migrants.
Une diaspora sous le choc
Aux États-Unis, l’annonce a provoqué une onde de choc au sein de la communauté haïtienne. Des leaders communautaires dénoncent une décision « insensible », prise en dépit des alertes sécuritaires récurrentes émanant même du Département d’État américain, qui déconseille actuellement à ses propres ressortissants de se rendre en Haïti.
Les organisations de défense des droits des migrants appellent à un moratoire immédiat et à une réévaluation de la situation sur le terrain. Pour elles, il ne s’agit pas d’une simple question administrative, mais d’un enjeu humanitaire et moral.
Conclusion : une bombe à retardement
Alors que la date du 2 septembre 2025 approche, Haïti risque d’être confrontée à un afflux sans précédent de ressortissants fragilisés, dans un contexte où ni les institutions, ni l’économie, ni les mécanismes de solidarité nationale ne semblent prêts à encaisser un tel choc. L’heure est à la mobilisation des autorités haïtiennes, de la communauté internationale et des ONG, pour éviter que cette décision n’ouvre un nouveau chapitre tragique de l’histoire haïtienne contemporaine.
Crédit photo : New options for TPS Holders » Marvin Law Office, PC