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Technologie : Sans aucune loi sur la protection de la vie privée, les internautes exposés à la cybercriminalité en Haïti

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En Haïti, actuellement, il n’y a aucune loi adoptée au parlement, quoique dysfonctionnel depuis janvier 2020, qui régit la protection de la vie privée.

À cause de ce manque et de ce vide juridique, les Haïtiennes et Haïtiens sont exposées et exposés à l’utilisation de leurs données personnelles par des personnes tierces, qui pourraient en profiter pour les exploiter à d’autres fins, voire commettre des infractions ou toutes sortes de crimes, particulièrement sur Internet.

Enquête

Par Marlyne Jean

P-au-P, 24 nov. 2020 [AlterPresse] — Selon quelques expertes et experts, les innovations technologiques, qui deviennent possibles chaque jour, contribuent à l’amélioration et au développement économique, social, éducatif, sanitaire, selon les données rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.

Ces expertes et experts confirment, de plus en plus, l’importance et la nécessité de développer des infrastructures résilientes, de mettre en œuvre des programmes de formation adaptés et d’adopter un cadre légal adéquat et réglementaire, entre autres. Cependant, en Haïti, au-delà des infrastructures et programmes nécessaires, le pays accuse un manque de cadre légal sur le développement du secteur numérique.

« L’État haïtien est un maillon faible. Si une personne, provenant de l’extérieur, venait à commettre un crime à travers l’Internet en Haïti, elle ne serait pas punie par la loi. D’autant plus que la société n’est pas protégée », fait remarquer l’ingénieur en informatique, Jean Marie Altéma, ancien Directeur général (21 avril 2016 – 2 mai 2017) du Conseil national des télécommunications (Conatel), interrogé par AlterPresse.

« L’absence de cette loi empêche également le pays de prendre des sanctions contre un géant de la technologie, qui aurait utilisé, à ses propres fins, les données personnelles des internautes haïtiens ».

Actuellement, le téléphone intelligent, comme outil technologique, a permis à des milliers de gens d’accéder à Internet. Grâce à leurs téléphones intelligents, ces habitantes et habitants sont connectés, à travers le monde, sur diverses plateformes, dont les plus populaires sont Twitter, Facebook et Google.

Pour accéder à ces plateformes, les utilisatrices et utilisateurs doivent fournir aux opératrices et opérateurs leurs données personnelles, notamment leurs noms complets, âge, sexe, pays de localisation, numéros de téléphone, entre autres.

Ces données personnelles, inscrites sur Internet, sont un aspect de la vie privée, comme la précision de sa localisation. Les publications qu’on aime, qu’on partage, qu’on commente, relèvent, toutes, de la vie privée. Internet est devenu un médium pour véhiculer ces informations, souligne Jean Marie Altéma.

« La vie privée relève de ce qui fait partie de l’intimité de la personne. Elle est définie par la loi. La loi met un cadre pour définir ce qui relève de la vie privée ou pas », explique-t-il.

La loi fixe les responsabilités des gens, qui manipulent ou accèdent aux données personnelles des gens. Dans ce cas, il leur est interdit de divulguer leurs informations. Cette mesure concerne également les données médicales et financières.

Quand est-il de la responsabilité personnelle des internautes ?

Responsabilité personnelle des internautes

Les internautes doivent s’assurer que leurs appareils, qui contiennent leurs données personnelles, sont sécurisés. Un ordinateur ou un téléphone, dont la mise à jour de sécurité n’a pas été établie, ouvre une brèche à des personnes, qui pourraient accéder à des données, dont dispose cet appareil, prévient Jean Marie Altéma.

L’usagère ou l’usager peut en faire une exploitation et un mauvais usage de ces données : commettre une infraction, dont vous serez responsable, demander de l’argent avec votre identité, utiliser ses données pour vous avilir ou vous impliquer dans des réseaux ou toutes sortes de crimes.

Prendre une photo d’une femme, pendant qu’elle fait ses besoins physiologiques, pendant ses ébats sexuels, ou un homme qui choisit délibérément de partager les photos de l’intimité d’une femme, qu’il convoitait sur les plateformes, sont des atteintes à la vie privée. Une photo, c’est une information privée. Partager une photo d’une personne, c’est porter atteinte à la vie privée de la personne, son intimité, soutient l’ancien Directeur général du Conseil national des télécommunications.

Jean Marie Altéma invite les utilisatrices et utilisateurs à s’assurer de la sécurité de leurs données, disponibles sur leurs téléphones portables.

Les utilisatrices et utilisateurs doivent tenir compte de la sécurité des plateformes, sur lesquelles ils sont inscrits sur Internet, « éviter d’exposer leurs cartes de crédit sur des sites Internet non sécuritaires, y compris leurs données personnelles », conseille-t-il.

Dans ce contexte, il devient plus que nécessaire pour le pays de se doter d’une législation pénale, qui tiendra compte de la cybercriminalité.

Cas d’une personnalité publique victime

Sur les réseaux sociaux, se retrouvent, ces derniers temps, des photos nues et vidéos d’orgies sexuelles, qui alimentent la toile, après que ces données ont peut-être échappé au contrôle de leurs responsables.

En avril 2017, le directeur général du Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle (Menfp), Louis Mary Cador, a vu ses photos nues circuler sur les réseaux sociaux.

Il a affirmé au journal Le Nouvelliste qu’il a été victime de chantages.

« Ils m’ont d’abord appelé au téléphone pour me demander de l’argent, pour ne pas publier les photos, qu’ils avaient en leur possession. Malheureusement, ils l’ont fait », a expliqué l’ex-directeur général du Menfp.

Dans un communiqué qu’il a publié, Louis Mary Cador a souligné combien tout cela s’est produit, suite à un vol de ses données strictement personnelles.

Cador a alors dénoncé une « machination et la manipulation de ces images avilissantes, en vue de détruire sa réputation de citoyen honnête et respectueux de valeurs, fruit de longues années de carrière, comme éducateur et professionnel évoluant dans le Nord-Est ».

Il a ensuite présenté ses excuses à sa famille, au public en général, pour tous les torts, que ces images avilissantes ont pu causer, et démissionné de son poste à la tête de la Direction générale du Menfp.

Le cas de Louis Mary Cador devrait servir d’exemple pour mieux encadrer Internet, afin de protéger des citoyennes et citoyens et « surtout nos enfants, nos jeunes et leur apprendre à ne pas cyberintimider les autres », et permettre aux victimes de trouver justice, considère Jude Mary Cénat, Ph. D., Chercheur postdoctoral/chargé de cours Chaire de recherche du Canada sur les traumas interpersonnels et la résilience / Université du Québec à Montréal, dans un article, publié le jeudi 6 avril 2017 dans le journal Le Nouvelliste, intitulé « Le cas de victimisation de Louis Mary Cador : double peine ou condamnation de la victime ? ».

Jude Mary Cénat décrit la cyberintimidation comme étant « des comportements intentionnels, agressifs et répétitifs (moqueries, menaces, publication de contenus, photos, vidéos gênantes), perpétrés par un individu ou un groupe contre un autre, grâce à l’utilisation des technologies de l’information, l’Internet, les médias sociaux et les téléphones cellulaires (Cénat et al. 2014) ».

Les personnes victimes de la cyberintimidation font face à des conséquences psychologiques et sociales graves.

« La détresse psychologique, la dépression, les idéations suicidaires, les tentatives de suicide, le suicide font partie de celles, recensées auprès de victimes de cyberintimidation », explique-t-il, ajoutant combien les personnes victimes sont souvent blâmées, critiquées, au lieu d’être aidées.

Nécessité d’adapter la législation pénale en Haïti

« Il y a, aujourd’hui, une nécessité d’adapter notre législation pénale avec l’évolution de la société. Il faut qu’il y ait des textes de loi pour punir ces formes de déviance, de crime », soutient le juge Wando Saint-Villier, président de l’Association professionnelle des magistrats (Apm), actuel doyen du tribunal civil de Jacmel (Sud-Est), questionné par AlterPresse.

Alors qu’Haïti a ratifié des documents internationaux, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’Organisation des Nations unies (Onu) et la Convention américaine des droits humains, signée et ratifiée dans le cadre de l’Organisation des États américains (Oea), aucun texte ne punit, jusqu’à date (2020), une personne, qui violerait le droit de l’intimité de l’autre, ou du moins espionnerait sa maison, même sur les réseaux sociaux.

L’ensemble de ces textes consacre le droit à l’intimité, le respect à la vie privée. Ces documents conventionnels, ratifiés à travers le parlement en Haïti, deviennent obligatoires, au regard de la Constitution.

Cependant, l’État haïtien, particulièrement à travers le parlement, n’a jamais adopté de dispositions juridiques, de normes internes, pour sanctionner le non-respect du droit à la vie privée, explique le juge Wando Saint-Villier.

Dans la législation, en vigueur actuellement, il n’y a aucun moyen, pour la justice, de sanctionner la cybercriminalité, comme une nouvelle forme de crime qui se fait à travers les Nouvelles technologies de l’information et de communication (Ntic) et également des outils informatiques.

Le droit haïtien n’est toujours pas adapté à ces formes de déviance. Le code pénal est daté de 1835 (soit 185 ans en 2020), à une époque, où il n’y avait pas encore les progrès technologiques actuels.

Bien que le code pénal ait subi des modifications, bien que de nouveaux articles se soient substitués aux anciens, sa structure est restée globalement inchangée. Son essence reste un texte, âgé de 185 ans, qui n’est pas adapté à l’évolution de la société.

Dans beaucoup de pays, les législatrices et législateurs font des lois pour pouvoir réprimer ce qu’ils estiment être une violation, comme de nouvelles formes de comportement qui pourraient porter atteinte à la vie, à l’honneur et à la réputation des gens.

Par contre, les parlementaires en Haïti ne font pas leur travail en termes de législation.

Ce qui donne lieu à une inadéquation entre l’évolution de la société, du point de vue technologique et scientifique, et le droit, qui reste statique, qui n’arrive pas à punir un ensemble de comportements, qui mériteraient d’être punis actuellement, déplore le juge Wando Saint-Villier.

« En matière pénale, selon le principe de la légalité, on ne saurait punir une personne sans que la loi n’ait prévu l’infraction. Si la loi ne l’a pas prédit, on ne saurait punir la personne, même si son acte est répréhensible et révoltant. Si on sanctionne une personne, sans que la loi ait prévu l’infraction, le juge aura commis, dans ce cas, un acte arbitraire. Ce qui est contraire aux principes de droits humains. Il n’y a pas de crime sans loi, d’autant plus qu’il n’y a pas de peine sans loi », renchérit le président de l’Association professionnelle des magistrats.

Aujourd’hui, n’importe quelle personne peut utiliser les réseaux sociaux pour ternir l’image d’une autre personne, faire le piratage, pratiquer d’autres formes de déviance, qui, aujourd’hui, sont des actes punis dans d’autres sociétés. Mais, en Haïti, le droit n’a pas encore évolué à ce niveau.

Néanmoins, dans le nouveau code pénal, publié par l’actuelle administration politique, le mercredi 24 juin 2020, qui a suscité diverses contestations, il est prévu des sanctions condamnant la cybercriminalité.

Des sanctions y sont envisagées contre toutes formes d’irrespect à la vie privée, à travers les médias, les réseaux sociaux, les nouvelles technologies de l’information et de communication.

Cependant, de telles sanctions ne pourraient pas être appliquées, parce que les dispositions envisagées devraient entrer en vigueur dans 24 mois.

De l’article 415 à l’article 424, tout un chapitre de ce projet de code pénal de juin 2020 est accordé aux atteintes à la personnalité.

Porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui, soit en captant, enregistrant, soit en transmettant des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, sans le consentement de leurs auteurs, est passible d’un emprisonnement de 6 mois à 1 an et d’une amende de 25,000.00.00 gourdes à 50,000 gourdes, lit-on dans le projet de nouveau code pénal.

« Le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec des paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention », est passible d’un emprisonnement de 6 mois à 1 an et d’une amende de 10,000.00 gourdes à 25,000.00 gourdes, selon l’article 423 du projet de nouveau code pénal.

En attendant la mise en application de ce nouveau code pénal, une personne, qui aurait été victime de telles violations, ne trouvera pas de satisfaction. Toutefois, qu’il y ait ou non un parlement fonctionnel dans les 24 mois, quel que soit le cas de figure, le décret sur le code pénal sera applicable normalement, souligne le président de l’Apm.

Engagement pour la protection de la vie privée au niveau international

Dans un rapport, en date du mercredi 20 novembre 2019, intitulé « Les géants de la surveillance », Amnesty International a critiqué les géants du net, Facebook et Google, pour leur modèle économique, qui constitue une menace systémique pour les droits humains, lit-on dans un communiqué publié, sur le site d’Amnesty International, le jeudi 21 novembre 2019.

L’Organisation non gouvernementale, œuvrant pour la défense des droits humains et le respect de la déclaration universelle des droits humains, relève combien ces géants du net menacent toute une série d’autres droits, notamment les droits à la liberté d’opinion, d’expression et de pensée, ainsi que les droits à l’égalité et à la non-discrimination, en utilisant les données personnelles des gens pour des publicités ciblées.

« Google et Facebook dominent nos vies modernes et ont accumulé un pouvoir inégalé sur la sphère numérique, en collectant et monétisant les données personnelles de milliards d’utilisatrices et d’utilisateurs. Leur contrôle insidieux de nos vies numériques sape le fondement même de la vie privée, et c’est l’un des défis majeurs de notre époque en termes de droits humains », a déclaré Kumi Naidoo, Secrétaire général d’Amnesty International.

« Ils ont rogné le respect de notre vie privée », poursuit-il.

Amnesty International appelle alors les gouvernements à « agir de toute urgence, en faisant appliquer des lois solides sur la protection des données et en réglementant efficacement les activités des géants de la technologie ».

Ces géants de la technologie ont versé plusieurs milliers de dollars d’amende, notamment aux États-Unis d’Amérique, pour avoir enfreint la loi sur la protection de la vie privée des utilisatrices et utilisateurs, en collectant des données personnelles les concernant.

Néanmoins, devenues un nouvel espace public mondial, les plateformes Google et Facebook sont quasi-incontournables pour dialoguer et interagir les uns avec les autres.

Source : AlterPresse

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